Une description à 4 sens (rappelez-vous...)

Le courant d’air issu des portes toujours ouvertes de cette église et des innombrables vitraux cassés soufflait les flammes des cierges qui essayaient de se faufiler dans cette brise froide glaçant la nuque des petites vieilles venues se recueillir ici pour la proximité du lieu. Parfois, leurs dents -ou leur dentier- se mettaient à claquer, amplifié par le gigantisme vide de l’édifice. Savaient-elles quel plaisir elles me procuraient à ce moment ou lorsque leurs pas feutrés frottaient sur les dalles de marbre noir froides et dures ? Chaque colonne, chaque banc, jusqu’à l’autel même leur faisait écho.

Le dur pilier de pierre sur lequel j’étais appuyé, presque blotti, devait être la base de la charpente qui s’élevait à cet endroit à plus d'une vingtaine de mètres vu que je n'aurais su en faire le tour avec mes bras. Un déplacement d’air avait soulevé un nuage de poussières âcre et sec qui me chatouillaient la gorge.

Une odeur toute nouvelle planait, mêlée à celles déjà bien connue de la fiente de pigeons que chaque jour les volatiles venaient déposer, de l’encens qui persistait toujours bien longtemps après l’office, de la pisse des chats errants qui revendiquaient ici une partie de territoire déjà tellement disputée et de mort, celle-là qui, d’entre toutes, était la plus unanimement multiple et présente en ce lieu où tout respirait la mélancolie, la douleur, la tristesse et l’amertume. Ce lieu voulant faire de ces dimanches pluvieux des jours de paix en faisait des jours de deuil et les cierges eux aussi montraient aux passants combien les gens souffraient : pour chaque lueur, un espoir de voir guérir une maladie, apaiser un décès, oublier un amour… Cette effluve neuve était pourtant plus fraîche que toutes les autres, elle réchauffait comme quand, vers 17h, les soirs d’automne, les derniers rayons d’un soleil discret venaient caresser à travers les vitraux la barbe naissante que je ne pouvais raser qu’une fois par semaine à l’hospice ; ce parfum, c’était un parfum car la multiplicité des arômes et des saveurs ne pouvaient tromper, avait envahi l’espace tout entier, on aurait dit qu’il s’était infiltré dans chacune de fissure du bâtiment tellement sa force était pleine.

Le silence régnait maintenant.

Les vieilles femmes étaient-elles parties ou restaient-elles seulement immobiles ainsi que leur dentier ? Nul pigeon ne venait fendre le calme d’un claquement d’aile en soulevant un nuage nauséeux. Je n’avais plus conscience du pilier dans mon dos, j’étais appuyé contre rien et même l’Odeur, le Parfum avait disparu de mes perceptions.

Je vis un grand tunnel au bout duquel scintillait une lueur, la première de ma vie...