Une petite nouvelle (manière de faire vivre le forum)

Comme presque chaque jour, je rentrais chez moi du pas décidé que j’emprunte souvent. La mélancolie qui m'habitait à ce moment n’était pas uniquement due à la musique pesamment pathétique qui me frappait simultanément les deux oreilles, mais je vivais depuis des mois la vie d’un supplicié. Prométhée, comme je le sais aujourd’hui, je n’ai plus rien à t’envier même si ce n’est pas mon foie mais mon cœur que dévore le paon de ma déesse. Pas que je ne l’ai pas mérité, quoique certains en disent, j’aurais pu l’éviter ; en tout cas, j’aurais voulu l’éviter. Ainsi, je rentrais à la maison, seuls existaient les pavés qui se déroulaient sous mes pieds, le reste étant enchevêtré dans les souvenirs et les remords.

La porte ouverte, mon sac déposé au bas de l’escalier, je traversai le hall et gravis sans foi les marches qui me séparaient du premier et allai m’asseoir sur le trône. La musique n’était maintenant plus que morosité et tristesse, rancœur et regrets. Je fermai les yeux et vis alors l’immensité noire de mes pensées. J’aurais voulu frapper ou l’être, crier et ne pas être entendu mais ce fut lui qui cria, sans doute n’avait-il pas vu de suite mon lecteur mp3 et avait-il déjà appelé plusieurs fois sans succès.
Le canon du pistolet vint se poser froid et tremblant au milieu de mon front. J’ouvris les yeux avec une lenteur dont je m’étonnai moi-même. Je savais que quelqu’un était entré dans les toilettes alors que j’y étais, qu’il me braquait avec un flingue et je ne m’alertais pas plus que ça. Je levai doucement mon regard pour apercevoir bientôt un homme, de prime abord je dirais même un jeune homme, et je plongeai le mien dans le sien, qui reflétait l’agacement de ne pas avoir pris le dessus. Je finis de m’essuyer en gardant la position, mon agresseur - quand même, je me sentais agressé - semblait de plus en plus déconcerté. Lorsque j’eus fini, j’ôtai les écouteurs pour attendre les directives qui n’allaient pas tarder à arriver présumai-je.

Effectivement, d’une voix qu’il aurait voulu dure et ferme, il me pria de me rhabiller et de sortir des toilettes, elles étaient fort étroites (je ne m’en étais jamais aperçu mais il est vrai que je ne m’y étais jamais retrouvé presque enfermé avec un inconnu). Tremblant quelque peu, je refermai les boutons de ma braguette et je fis les quelques pas qui me permirent de passer la porte. En sortant, je vis, déposé à côté du chambranle, un sac aux formes erratiques, je m’aperçus aussitôt qu’il s’agissait de son butin et je ne pus m’empêcher de lui demander ce que c’était que ça en me penchant vers le ballot. Il se rua dessus sans que je puisse l’atteindre…

Il me dit de rester là si je voulais rester en vie. Silencieux, je fis un signe vers mes écouteurs qu’il ne sembla pas comprendre. Je repris néanmoins la mélodie où je l'avais abandonnée et je m’assis le long du mur, les avant-bras sur les genoux. Je pensai que l’air languissant qui se poursuivait convenait parfaitement à cette scène où un cambrioleur décontenancé recule à petits pas vers l’escalier…

Ce faisant, il regarda en arrière pour juger de la proximité des marches. A ce moment, je me levai car il basculait pour avoir trop reculé et je voulus me précipiter sur lui pour le retenir mais il me vit bouger et brandis son arme vers moi. Celle-ci lança bientôt sa gerbe de flamme et un choc dans l'épaule droite me rassit aussitôt. Mais le recul avait brisé le maigre équilibre qu'il avait préservé pour tirer et alors qu’il dégringolait les escaliers, j’entendis les craquements des marches en bois et un dernier sur le pavé du hall. Une douleur lancinante apparut en même temps qu’une tache rougeâtre sur ma chemise.